Un chef-d’oeuvre baroque

L’église Saint-Martin - un chef-d’oeuvre baroque

par Alex Langini

L’église Saint-Martin actuelle fut construite en 1772/73 sous le curé Jean-Othon Borrigs à l’emplacement d’un sanctuaire antérieur. Son architecte était probablement Paul Mungenast d’Echternach, qui s’est inspiré de la collégiale Saint-Paulin de Trèves. Les peintures de l’arc triomphal et du chœur sont l’œuvre d‘Ignace Millim. Le maître-autel et l’orgue proviennent du couvent supprimé des dominicaines nobles de Marienthal. La porte d’entrée, la chaire, la sainte table, le parapet de la tribune, les confessionnaux et les bancs ont été réalisés par le sculpteur Jean-Nicolas Calteux. A l’intérieur sont conservés de nombreux monuments funéraires des seigneurs locaux. L’église témoigne d’une vie religieuse très intense renouvelée par le concile de Trente. Son architecture dynamique et son décor exubérant expriment un élan de foi extraordinaire, typique pour l’époque baroque qui considère l’église comme « demeure de Dieu et porte du ciel » (Gn 28,17).

Le sanctuaire figure indubitablement parmi les plus belles réalisations de l’art baroque au Luxembourg.

La paroisse et l’église du Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle

L’existence de la paroisse de « Lincera » est attestée la première fois dans les archives en 1128, lorsque le pape Honorius II confirme le pèlerinage annuel obligatoire de vingt-six circonscriptions ecclésiastiques à l’abbaye de Münster à Luxembourg.1 Cette énumération nous permet de remonter encore bien plus loin dans le temps, car elle reprend une obligation établie en 983 par l’archevêque Egbert de Trèves au profit de sa cathédrale.2 Jusqu’à la Révolution française Junglinster dépend, en effet, de ce siège épiscopal et fait partie de l’archidiaconé de Longuyon, chapitre rural (doyenné) de Mersch. L’ancienne paroisse se compose de Junglinster, Altlinster, Gonderange et Godbrange et avant 1808 également de Bourglinster et Imbringen.

Le titre de saint Martin signale une fondation ancienne, peut-être franque. Dès le VIIIe siècle l’abbaye d’Echternach détient d’importantes propriétés sur le territoire de la paroisse, d’abord à Gonderange, ensuite également à « Linceren », sans qu’ il soit possible de déterminer avec précision de quel Linster il s’agit.3 Le monastère Saint-Willibrord perd ces possessions cependant assez vite, probablement lors des invasions normandes à la fin du IXe siècle, lorsque le souverain les donne en remerciement à des nobles, dont il veut s’assurer le soutien.4 Par la suite les seigneurs de Linster détiennent pendant des siècles le droit de collation, c’est-à-dire le privilège de proposer le curé. Au début le choix se fait assez souvent dans leurs propres rangs. Les dîmes sont perçues, sans doute grâce à des donations faites par la noblesse, en grande partie par l’abbaye de Clairefontaine et le monastère du Saint-Esprit.5

Les informations concernant l’église paroissiale ne sont pas très nombreuses. D’après un record synodal établi en 1540, le curé est responsable pour le choeur, la nef incombe aux décimateurs, le clocher et le cimetière doivent être entretenus par les paroissiens.6 La distribution de ces charges correspond aux usages courants à l’ époque. Toutes les questions n’en sont néanmoins pas résolues, comme le montre le litige au sujet des réparations qui s’imposent en 1688.7 Les contestations survenues nous apprennent que l’église comprend des « collatéraux ou chapelles » abritant les monuments funéraires des familles seigneuriales.8 Il s’agit probablement d’oratoires situés de part et d’autre du choeur ou de la nef. Une disposition analogue se trouvait à Koerich jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Les églises de Limpach, de Munshausen, de Sanem et de Septfontaines conservent des exemples du genre. Les travaux finalement réalisés à Junglinster ont probablement été assez importants, car le 7 juin 1691 l’évêque-auxiliaire Jean-Pierre Verhorst procède à la consécration de trois autels en l’honneur de saint Martin (autel majeur), de saint Eloi (côté épître), de Notre-Dame et de saint Georges (côté évangile).9

Le 15 septembre 1704, le curé Pierre Goedert se plaint : au sol du sanctuaire il n’y a pas de dallage (« pawey »), mais de la terre battue (« leym erdt »).10 Lors de son installation en 1722, le curé Jean Arendt refuse la réception du choeur de l’église et du presbytère.11 A la fin de l’année 1736 s’achève une campagne de restauration dirigée par l’architecte Nicolas Steinmetz de Luxembourg.12 Deux ans plus tard l’édifice se trouve encore en bon état et dispose de trois autels.13

1 Kyll N., Pflichtprozessionen und Bannfahrten im westlichen Teil des alten Erzbistums Trier, Bonn 1962, p. 40-41
2 Donckel E., Die Kirche in Luxemburg von den Anfängen bis zur Gegenwart, Luxembourg 1950, p.13-14
3 Wampach C., Geschichte der Grundherrschaft Echternach im Frühmittelalter, 1.2 Quellenband, Luxembourg 1930, p. 187-188 ; 225-226 Pauly F., Siedlung und Pfarrorganisation im alten Erzbistum Trier, Das Landkapitel Mersch, Trier 1970, p. 215-219 Staud R.M., Reuter J., Die kirchlichen Kunstdenkmäler der Diözese Luxemburg, Dekanat Betzdorf, in: Ons Hémecht 1935, 2, tiré-à-part, p. 82
4 Pauly F., op. cit., p. 216
5 ib., p. 217-218
6 Nilles P., Beiträge zur Geschichte der Pfarrei Junglinster, Christnach s.d., p. 25
7 Schon A., Zeittafel zur Geschichte der Luxemburger Pfarreien von 1500-1800, Esch-sur-Alzette 1955-1956, p. 203 (19.01.1688)
8 ib. (02.04.1688)
9 Donckel E., Altar- und Kirchweihen durch Trierer Weihbischöfe im Archidiakonat Longuyon 1690-1790, in T’Hémecht 1948, 1, p. 8
10 Schon A., op. cit., p. 246
11 ib., p. 296 (24.07.1722)
12 ib., p. 344 (02.12.1736)
13 Nilles P., op. cit., p. 60

Le nouveau sanctuaire du curé Borrigs

Un événement décisif pour l’histoire de l’église paroissiale intervient au mois de janvier 1744, lorsque Johannes Otto Borrigs est nommé curé de Linster sur proposition du baron Jean-Philippe de Metzenhausen.14 Avant cette promotion il était vicaire à l’église Notre-Dame à Coblence. Même si nous ne disposons pas d’informations sur la formation qu’il a suivie, nous pouvons supposer qu’elle lui a procuré des connaissances supérieures à celles du curé de campagne moyen de l’époque. Dès 1750 il fait aménager autour de sa maison un jardin pour la somme de 600 écus, en 1762 il construit un nouveau presbytère qui a l’allure d’un manoir et qui affiche fièrement ses armoiries sur le fronton de la façade.15 La tradition locale rapporte que l’autorité ecclésiastique, voyant l’état de l’église implantée à côté, lui aurait demandé de remédier à cette situation « pour que le Bon Dieu ne vive plus dans une étable jouxtant un palais ».

Borrigs essaie probablement dès 1766 de reconstruire le sanctuaire. Un chronogramme de sa main conservé dans les archives paroissiales indique en tout cas cette date.16 Vu le nombre considérable des partis concernés par le projet, il n’est certainement pas facile de trouver un accord. A l’ époque, la reconstruction d’une église donne souvent lieu à d’interminables procès.

Le 11 mars 1771, dix des douze décimateurs impliqués établissent finalement un contrat avec le curé Borrigs qui prend en mains la construction d’une nouvelle paroissiale « die auf bäumen gestelt, das ist ganz pillorirt werden soll; sie muss ganz gewölbet sein, ohne die gringsten pillaren » .17 Etant donné le caractère marécageux du terrain à bâtir, il faut enfoncer des troncs de chêne qui supporteront les fondations. L’édifice mesurera 120 x 40 pieds français, l’intérieur sera dépourvu de colonnes et de piliers, disposition qui permet la création d’un espace plus homogène et plus lumineux. La voûte reposera donc sur les murs. Le curé s’engage également à fournir trois autels, la chaire de vérité, le banc de communion, quatre confessionnaux et les armoires de sacristie. Délai de livraison : 1er avril 1773 . Coût total : 6000 écus dont le curé doit assumer un tiers. Il est important de souligner que c’est uniquement grâce à cette procédure que l’église de Junglinster a pu devenir ce qu’elle est.

Le contrat ne mentionne ni architecte ni entrepreneur. Le plan de l’église est communément attribué à Paul Mungenast (1735 – 1797), maître d’oeuvre et architecte de l’abbaye d’Echternach .18 Ce qui est indubitable, c’est que l’église de Junglinster se réfère au modèle de Saint-Paulin à Trèves, collégiale élevée à partir de 1734 à l’initiative de l’archevêque-électeur Franz Georg von Schönborn, membre d’une dynastie de grands bâtisseurs qui ont initié de nombreux chefs-d’oeuvre d’architecture. Comme pour bon nombre d’édifices baroques, il n’est pas aisé de déterminer avec précision l’architecte de cet édifice, pour la simple raison que plusieurs concepteurs y sont intervenus, entre autres le célèbre Balthasar Neumann (1687 – 1753). Le projet de base remonte très vraisemblablement à Johann Georg Seitz (1717-1779).19 A l’extérieur ce bâtiment se caractérise par une riche structure très régulière. Chaque pan des façades latérales est délimité de part et d’autre par un pilastre servant en même temps de contrefort. Les fenêtres sont insérées dans des rectangles oblongs évidés et sommées au-dessus de la clef d’un segment d’arc richement mouluré et fortement saillant. A l’intérieur de profondes gorges entourent les baies. La voûte en berceau à lunettes repose sur de puissants pilastres.

« Le rayonnement et la force innovatrice » de cette architecture ont été extraordinaires dans la région de Trèves.20 Dès 1737, à une époque où les travaux ont du mal à avancer, les caractéristiques de Saint-Paulin se retrouvent déjà à Luxembourg dans le sanctuaire des chanoinesses de Saint-Augustin, aujourd’hui église protestante de la Trinité.21 Dix ans plus tard, l’église de Koerich se réfère à Saint-Paulin à travers la copie de Luxembourg. Si la structure intérieure est citée plus fréquemment, le modèle des façades ne se retrouve explicitement qu’à Mondorf (1764), Junglinster (1772), Steinheim (1776) et Lauterborn (1784). A l’exception de la paroissiale de Junglinster, tous ces édifices relèvent directement de l’abbaye d’Echternach. Vu les nombreux traits communs qui les caractérisent, il est tout à fait logique de les attribuer à un même auteur, à savoir Paul Mungenast.

L’église de Junglinster est orientée ouest-est conformément à la tradition. Fait plutôt rare au XVIIIe siècle : le clocher se situe à l’est derrière le choeur et abrite au rez-de-chaussée la sacristie. Faut-il y voir la réminiscence d’une tour-chevet du Moyen Âge ou est-ce que Borrigs a voulu se servir de cet espace pour disposer d’une sacristie spacieuse? Nous ne le savons pas.

Le portail implanté en bas du pignon occidental présente un aspect délibérément monumental. Deux pilastres toscans enserrés dans un appareil à bossages continus entourent une gorge sous laquelle s’ouvre une large porte en plein cintre à deux battants richement sculptés. Ils supportent un fronton brisé dans lequel s’ouvre une haute niche où apparaît saint Martin, titulaire de l’église. La qualité de la sculpture nous fait penser à un atelier de Trèves travaillant sous l’influence de Ferdinand Tietz. Un cartouche rocaille renvoie à l’année 1772, information confirmée par un chronogramme latin: eCCLesIa paroChIaLIs In LInster noVIter ereCta sVb patroCInIo sanCtI MartInI a pastore ottone borrIgs.22 « L’église paroissiale à Linster a été nouvellement construite sous la protection de saint Martin par le curé Otto Borrigs ».

Les murs de la nef sont animés de part et d’autre de quatre fenêtres en plein cintre placées dans des niches rectangulaires surmontées d’un segment, ceux du choeur légèrement en retrait en comportent deux. Les clefs sont ornées de rocailles. Les lésènes faisant également fonction de contreforts supportent une corniche fortement saillante. L’ensemble de la construction se distingue par un emploi très généreux de la pierre de taille.

Dès le début la structure architecturale de l’édifice est soulignée par une mise en peinture nuancée : rouge pour les pierres de taille, jaune autour des baies (ces zones sont délimitées par des lignes tracées dans l’ enduit), blanc cassé pour le fond. A noter que six fenêtres en trompe-l’oeil enrichissent les façades de la tour.23 Cette technique fait probablement son apparition à cette époque sur les constructions abbatiales d’ Echternach.24 Le plus bel exemple, longtemps conserv, se trouvait sur la maison de campagne « Loeschen » démolie en 1977. Au Luxembourg le recours au trompe-l’oeil dans l’architecture est plutôt rare.

A l’intérieur la nef, rythmée par les pilastres et les gorges encadrant les baies, compte quatre travées recouvertes d’une voûte en berceau à lunettes. Le même schéma se retrouve dans le choeur rétréci qui s’ouvre derrière un important arc triomphal arborant la date de 1773. L’abside se termine en segment de cercle. Indépendamment du décor, cette structure suscite l’impression d’une architecture en mouvement. L’effet est dû à l’alternance de pleins et de vides, de courbes et de contrecourbes qui se retrouvent partout. L’interpénétration de la nef et du choeur au niveau du sol sont caractéristiques à cet égard. Rien n’ est figé ou statique. L’architecture baroque traduit l’inquiétude de l’homme à la recherche de l’ infini ou de l’au-delà.

14 Schon A ., op . cit ., p. 382 (18.01.1744)
15 Nilles P ., op. cit., p. 62 , p. 65
16 Medinger E ., Roeder J., Geschichte der Pfarrei Linster, in : Fanfare de Junglinster 1918- 968 – Junglinster au fil des siècles, s.l.n.d., p. 34
17 Schon A., op. cit., tome V, p. 18
18 Schmitt M., Die Bautätigkeit der Abtei Echternach im 18. Jahrhundert, Luxembourg 1970, p. 168-180
19 Fischer D., Die St. Paulinuskirche in Trier , Studien zu Architektur, Bau- und Planungsgeschichte, Worms 1994, p. 155-159
20 ib., p. 161
21 Schmitt M., op. cit., p.171-172
23 voir Lutgen T., Die Restaurierung der Fassade der Kirche St. Martin in Junglinster, Einweihungsbroschure 2010
24 Schmitt M., op. cit., p. 190

La statue de saint Martin sous le baldaquin peint en 1786

Le maître-autel, vers 1699

Les retables

Le 24 juillet 1774, l’évêque-auxiliaire Jean-Nicolas de Hontheim confère la dédicace à la nouvelle paroissiale. Il consacre les autels en l’honneur de saint Martin (milieu), de la Vierge Marie (côté septentrional) et de la sainte Croix (côté méridional).25 Il y dépose des reliques du saint titulaire et des martyrs de Trèves. Malheureusement nous ne savons rien de l’aspect de ces autels à ce moment-là.

Le retable le plus ancien actuellement en place est celui de la sainte Croix qui se trouve près de la chaire de vérité. Il a été donné en 1634 par Jean-Guillaume de Metzenhausen, doyen de la cathédrale de Trèves et prévôt de celle de Spire. Il provient de la chapelle castrale de Bourglinster et a été implanté à sa place actuelle vers 1868.26 Au milieu figure le Christ en croix entre la Vierge Marie et saint Jean, placés devant une représentation idéalisée de la ville de Jérusalem. Saint Clément, expressément nommé dans l’inscription dédicatoire, apparaît tout en haut au-dessus de l’entablement. Les armoiries des parents et des grands-parents du donateur rappellent sa noble origine. Le retable, entièrement sculpté sur pierre et polychromé, affiche un décor très riche exécuté dans le style baroque primitif ou « auriculaire » (« Ohrmuschelstil »). L’oeuvre provient sans doute d’un atelier de Trèves travaillant dans la tradition de Hans Rupprecht Hoffmann.

Le panneau central d’un retable-épitaphe datant à peu près de la même époque se trouve derrière le maître-autel au-dessus de la porte de sacristie. Il a été offert par Bernard de Metzenhausen décédé en 1632 et son épouse Régine-Elisabeth de Hagen. Leurs armes et celles de leurs ancêtres ornent la bordure de la niche malheureusement vide. Dans le cadre des travaux 2008-2010 un crucifix baroque y sera placé. Deux figures agenouillées représentant les donateurs font partie de cette oeuvre. Après une longue pérégrination à travers toute l’église, elles retournent aux côtés de l’épitaphe. Il n’est pas exclu que cet autel ait servi au culte de la sainte Croix avant l’implantation de celui provenant de Bourglinster.
Autre hypothèse : il a provisoirement fait fonction de maître-autel. Signalons à titre d’information que l’église de Sanem conserve un autel-épitaphe du même genre datant de 1630 et dédié à la mémoire de Charles de Daun et de Marie-Agnès de Hagen.

Le retable en marbre blanc de la Vierge remonte à 1903.27 Il a été fourni par les établissements Arnold Schüller-Singer de Trèves qui ont posé quelques années plus tôt dans le choeur le dallage en marbre polychrome en mémoire d’Odile Klein, bienfaitrice décédée en 1898. Une inscription au sol près de l’autel de Notre-Dame rappelle la mémoire de la défunte. Près de l’autel de la croix se trouvent les données concernant l’entreprise.

Le maître-autel placé devant le fond de l’abside a été acquis le 20 février 178628 par le curé Krantz suite à la suppression du prieuré des dominicaines nobles de Marienthal par l’empereur Joseph II. L’écusson figurant au-dessus du tableau représentant l’Annonciation signale qu’il a été créé sous la prieure Reine-Elisabeth de Daun décédée en 1703.29 Une contestation intervenue à la fin de la même année au sujet du paiement de quatre autels en marbre blanc et noir nous apprend que le sculpteur malinois Jean van den Steen (1633 -1723) a travaillé pour les dames de Marienthal.30 Il n’est sans doute pas aberrant de supposer que le même artiste a fourni un peu plus tôt le maître-autel réalisé en bois et peint en faux marbre. Un antependium encore en usage actuellement renvoie à l’année 1699 qui pourrait fort bien correspondre à la livraison du retable majeur. La date de 1749 indiquée au-dessus du passage sud vers la sacristie se rapporte à des travaux de restauration. Le tabernacle a probablement été ajouté à cette occasion. Sa qualité sculpturale est en tout cas inférieure à celle des autres éléments. A la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle la réserve eucharistique n’était pas conservée sur l’autel principal dans les grandes églises. Le schéma du retable reprend en gros celui de l’église des Jésuites d’Anvers élaboré vers 1620 avec la collaboration de Pierre-Paul Rubens. Le modèle, inspiré de l’arc de triomphe romain, se retrouve à Luxembourg vers 1660 chez les cordeliers. A Junglinster il a évidemment évolué et il s’est enrichi. Notamment les deux colonnes extérieures remplacées par les sculptures de saint Joachim et de sainte Anne sont significatives à cet égard. Elles s’appuient sur des socles décorés d’admirables guirlandes, tandis qu’audessus des têtes d’anges ailées supportent des chapiteaux corinthiens composites. Sur les soubassements figurent saint Thomas d’Aquin et sainte Catherine de Sienne. La niche du couronnement manque complètement. Ou bien elle ne faisait plus partie du meuble au moment du transfert, était en mauvais état ou tout simplement gênait le déploiement du grand baldaquin de l’abside très à la mode à l’époque, comme le prouvent par exemple les églises de Remerschen et de Puttelange/Mondorff. Les travaux de nettoyage et de restauration réalisés par Tilly Hoffelt ont permis de découvrir que la polychromie a plusieurs fois changé au cours des siècles. Un indice à ce sujet se trouve dans l’élément architectural peint en trompe-l’oeil au-dessus de la corniche. Tout en haut du retable s’est conservée une inscription «P . Spang 1858» qui se rapporte sans doute à des travaux de ce genre.31 La statue d’évêque, sans attribut particulier et considéré à Junglinster comme représentation de saint Martin, semble faire partie de l’ensemble originel.

25 Donckel E., Altarweihen, p. 25
26 Schmitt G., L’ église paroissiale de Junglinster, in Les Cahiers luxembourgeois, No de Noël 1954, p. 109
27 ib., p. 100, mention d’un autre retable plus ancien
28 Erasmy F., Die Geschichte der Junglinster Orgel, article dans cet ouvrage
29 Schwebag N. (éd.), Abrégé de l’illustre couvent de Marienthal dans le duché de Luxembourg, in: Ons Hémecht 1926, p. 71 // Loutsch J.-C., Armorial du pays de Luxembourg , Luxembourg 1974, p. 314
30 Schon A., op. cit., p. 243 (27.11.1703)
31 La date figurait aussi au – dessus de la porte sud de la sacristie

Les peintures murales

Sur la face occidentale de l’arc triomphal et la voûte du choeur se déploient des peintures à sec, il ne s’agit pas de fresques, évoquant l’adoration des rois mages et le Christ glorieux dans les cieux. D’après une inscription au-dessus de la dernière fenêtre du côté nord elles ont été réalisées par Ignace Millim. Cet artiste est né à Brno (République tchèque) en 1743, il est décédé à Eischen en 1820.32 Les quelques oeuvres monumentales qu’il a exécutées dans les églises nous sont parvenues en fort mauvais état ou elles ont été considérablement restaurées, voire remaniées. Elles ne témoignent pas d’un grand talent pour le domaine, contrairement aux portraits qui lui sont attribués et qui présentent plus de qualité. Les peintures de Junglinster ne font pas exception à cet égard. L’ensemble des peintures de la voûte manque de cohésion et de dynamisme, les anatomies sont plus que maladroites, la vue sur le ciel ouvert n’ est pas convaincante. Nous nous trouvons en face de dessins et non de peintures monumentales adaptées à l’espace. Dès 1786 l’oeuvre a été restaurée, sans doute lors de la mise en place du grand retable. Une nouvelle intervention dirigée par Charles Arendt et réalisée par Matthias Meysemburg en 1896 permet de retrouver l’adoration des rois sur l’arc triomphal, qui avait disparu sous une représentation de la sainte Trinité.33 A noter que la voûte du choeur n’avait pas connu ce sort, comme c’est souvent affirmé! En 1973 Edmond Goergen restaure les peintures une fois de plus et supprime les ajouts de la fin du XIXe siècle. L’ensemble en devient encore plus lacunaire, l’aspect graphique se trouve renforcé.

Les thèmes choisis pour les représentations doivent souligner la fonction de l’église et plus particulièrement celle du choeur : servir à la glorification et à l’adoration du Christ. Les rois mages évoqués sur l’arc triomphal donnent l’exemple. Ils se dirigent vers l’enfant Jésus assis sur les genoux de sa mère. Le roi qui se trouve devant lui plie les genoux, les deux autres, debout à gauche et à droite, se préparent à le rejoindre et à s’unir à son geste d’adoration. Les habits des voyageurs orientaux expriment le goût baroque pour le faste, les maures et le paysage traduisent l’intérêt pour l’exotisme.

Un texte biblique inscrit en latin dans un cartouche de l’abside signale le thème de la voûte du choeur : « Et l’on verra le Fils de l’homme venir sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire » (Mt 24,30). Une ouverture ovale entourée d’une corniche permet de jeter un regard sur le ciel ouvert. Un balcon au parapet convexe – procédé qui renforce l’aspect dynamique de l’architecture – accueille des personnages représentant les vertus théologales et cardinales caractérisées par leurs attributs. Toutes les figures tournent le regard vers le haut, c’est-à-dire la nef. Sur un nuage se tiennent des figures bien connues de l’Ancien Testament, par exemple Adam et Eve, Abraham avec son fils Isaac, Moïse, David etc. Un groupe de femmes évoque la Vierge Marie : Esther, Ruth, Judith etc. Il y a probablement aussi les apôtres. Tout en haut apparaît dans un cercle lumineux le Fils de l’homme entouré des quatre êtres vivants symbolisant les évangélistes et entouré d’une multitude d’anges. Au sommet plane la colombe du Saint-Esprit.

Aux quatre angles des médaillons présentent les principaux Pères de l’Eglise : saint Ambroise, saint Augustin, saint Jérôme et saint Grégoire-le-Grand. Ils garantissent l’authenticité de l’enseignement et de l’adoration pratiqués en ce lieu. Ils dispensent la vraie interprétation du message divin transmis par les personnages mis en scène sur la voûte. Les peintures s’insèrent dans un cadre architectural qu’elles complètent et dépassent. Grâce aux travaux qui s’achèvent, l’espace a pu retrouver sa polychromie originelle. Quelques traces étaient heureusement préservées et ont permis de compléter ce qui manquait complètement, par exemple au niveau de la voûte de la nef.

32 Toussaint F., Ignace Millim ( 1743 – 1820 ) – Peintre fresquiste d’ origine morave. Sa vie, son oeuvre, ses descendants, in: Association luxembourgeoise de Généalogie et d’ Héraldique, Annuaire 2001
33 Arendt C., Die jüngst restaurirten Chorfresken in der Pfarrkirche zu Junglinster, in: PSH XLVI, 1898, p. 284 -295

Détail de la voûte du choeur

Chaire de vérité de l’atelier Calteux

La chaire et l’orgue

Parmi les acquisitions à faire par le curé Borrigs, le contrat de 1771 mentionne aussi une chaire de vérité. Ce meuble ne fait son apparition dans les églises de campagne qu’au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle. Il doit permettre la proclamation et l’explication de la parole de Dieu à tous les fidèles rassemblés pour la messe dominicale ou l’instruction religieuse décrétées par le concile de Trente (1545-1563). Borrigs a probablement fait appel à l’atelier des Calteux attesté à Bourglinster en 1785 et par la suite.34 La famille s’y est peut-être fixée quelques années auparavant à cause des travaux à Junglinster. La cuve de la chaire prouve un savoir-faire remarquable et constitue incontestablement un chef-d’oeuvre de la sculpture rocaille au Luxembourg. Au-dessus du majestueux abat-voix aux lignes admirables se tient l’ange qui sonne de la trompette pour convoquer les croyants au jugement.

Les mêmes menuisiers-sculpteurs ont sans doute aussi fourni la porte d’entrée, les confessionnaux, les sièges pour l’assemblée, le banc de communion et le parapet de la tribune. Ce dernier remonte à 1792, année où le curé Molitor a acquis l’orgue de Marienthal et l’a fait monter sur une tribune au-dessus du sas d’ entrée. Lors des travaux d’agrandissement effectués en 1938 le garde-corps a heureusement été préservé.35

L’orgue constitue en quelque sorte un pendant du grand retable. Son buffet en fait incontestablement un des plus intéressants du pays, sans doute le plus ancien. La partie supérieure remonte à la Renaissance tardive, c’est-à-dire vers 160036 et conserve quelques rares traces de polychromie de cette époque. Au XVIIIe siècle l’instrument a subi une transformation et à cette occasion la façade a été enrichie par l’application de têtes d’anges ailées et de grappes de raisin. Conformément à la mode baroque des anges musiciens et d’autres figures appropriées étaient sans doute fixées en haut du buffet. Plusieurs sculptures de ce genre, par exemple une sainte Cécile et un roi David , aujourd’hui sortis de leur contexte initial, plaident en faveur de cette hypothèse. Dans les pays voisins de nombreux exemples conservés illustrent fort bien cette pratique. Vu les nombreux restes d’une couche d’apprêt et d’une teinte grisâtre sur les sculptures du soubassement des tourelles, une polychromie discrète à dominante albâtre est à présent appliquée sur cette partie. Ainsi l’orgue constitue pour ainsi dire un contrepoids par rapport à l’autel principal.

34 Schmitt G., op. cit., p. 96 | Staud R. M., op. cit., p. 88
35 Erasmy F., op. cit.
36 Lutz C., Rapport de protection, établi à la demande du Ministère de la Culture, s.d.

Les monuments funéraires

Les très nombreux monuments funéraires répartis sur la nef et le choeur depuis les années 197037 proviennent de l’ancienne église, à l’exception de celui de Maria Eva von Zitzwitz décédée en 1781. Ils ont été transférés dans la nouvelle paroissiale, sans doute parce que la famille seigneuriale concernée était encore représentée sur place. Il est, en effet, frappant de constater que d’autres familles, par exemple les de Lontzen dits Roben, ne s’y retrouvent pas. Les pierres conservées renvoient surtout aux Orley et aux Metzenhausen ainsi qu’à leurs épouses.

Le monument le plus ancien, dédié à la mémoire de Bernard d’Orley, remonte à 1491 et se trouve à côté de l’entrée méridionale de la sacristie. Le dais sous lequel repose le défunt et la disposition de l’inscription signalent qu’à l’origine il était posé horizontalement sur un soubassement en forme de table.38 La dalle d’Elisabeth d’Autel placée sous la première fenêtre à gauche de l’entrée remonte à 1540 et se distingue par sa qualité artistique. Elle est très proche de celle d’un jeune chevalier mort quelques années plus tôt et enterré dans l’abbatiale d’Echternach. Sur les deux monuments se déploie un décor Renaissance particulièrement raffiné, les traits des disparus sont nobles et fins.

La pierre à gauche du sas d’entrée est sans doute la plus connue. Elle représente Henri de Metzenhausen (+1574) et ses deux épouses successives, Eve Walpot de Bassenheim (+1564) et Jeannette d’Autel (+1576). Les sculptures sont attribuées à Hans Rupprecht Hoffmann de Trèves (1543-1616). Les initiales HRHB apposées sur la corniche remontent vraisemblablement aux interventions ordonnées par Charles Arendt et exécutées par Joseph Fischer de Grevenmacher en 1887 et 1888.39 La mesure visait sans doute à donner un aspect plus « lisible » aux monuments. Elle s’efforçait également de conférer un caractère plus décent aux représentations des défunts mâles en les mutilant. Certains éléments ont été remplacés de façon maladroite et incorrecte.40

Notons que les nombreuses armoiries qui ornent les stèles ne sont pas un simple décor. Elles constituent des épreuves de noblesse, c’est-à-dire elles soulignent l’origine distinguée des défunts. Ces épreuves étaient indispensables pour les mariages honorables et l’obtention de certaines charges, par exemple l’admission dans les chapitres des grandes cathédrales. Pour être chanoine à Strasbourg il fallait prouver trente-deux quartiers, Trèves se contentait de seize. Maria Eva von Zitzwitz stipule dans son testament que son héritier doit épouser une dame issue d’une famille admissible dans les chapitres de Mayence, Trèves, Worms ou Spire.39

La restauration de 2010 a débuté par un nettoyage doux et complet de tous les monuments. Il s’agissait aussi de repérer dans la mesure du possible toutes les traces de polychromie préservées malgré les nombreuses opérations énumérées plus haut. En fait seul le monument de Bernard de Metzenhausen avait échappé au décapage en raison de son emplacement derrière le maître-autel. De nos jours il montre le mieux comment ces sculptures se présentaient autrefois. Toutes les réparations effectuées au ciment ont été supprimées pour être remplacées par un matériau plus approprié. L’application d’un badigeon a conféré aux dalles un aspect homogène, les inscriptions ont été dégagées grâce à la mise en place d’une teinte foncée. Par ces mesures minimalistes les monuments ont pu retrouver une nouvelle présence dans l’espace qui les accueille.

Charles Arendt mentionne également cinq « obiit » en rapport avec les stèles funéraires : Karl Emmerich von Metzenhausen (+1750), Maria Eva von Zitzwitz (+1781), un panneau de 1781 et deux panneaux de 1748 et 1749 concernant les Metzenhausen.40 Le tableau d’Eva Maria von Zitzwitz a récemment pu être racheté chez un antiquaire. Le panneau de Karl Emmerich, dernier descendant mâle des Metzenhausen, décédé à la cour de Coblence en 1750, a disparu. Celui de son père Jean-Philippe nous est parvenu. Il montre le blason des Metzenhausen, de sable au crampon d’argent, et la date de 1749. Un autre exmplaire arborant le millésime 1748 porte les écus ovales de Metzenhausen et Zandt de Merl, c’est-à-dire de gueules à trois lions d’argent.41 Il s’agit des armes de la mère de Karl Emmerich et de Maria Eva. L’année 1748 ne semble cependant pas exacte.42 Un coup d’oeil même superficiel montre qu’il y a eu une intervention au niveau du dernier chiffre. Ces « obiit », utilisés surtout lors des funérailles, étaient, en effet, fréquemment transformés et adaptés. Leur usage s’est maintenu jusqu’à nos jours, notamment dans la noblesse belge.

37 Weicherding-Goergen B., L’ église de Junglinster, Luxembourg 1974, p. 13 Etude détaillée de la plupart des monuments in : Walentiny J., La sculpture au Luxembourg à l’ époque de la Renaissance, Luxembourg 1986
38 D’autres monuments étaient encastrés dans le sol
39 Arendt C., Bericht über die Restauration unserer geschichtlichen Denkmäler, in : PSH XLV, 1896, p. XLIV
40 Weicherding-Goergen B., op. cit., p. 13
39 Conrad O., Das Hunsrücker Adelsgeschlecht von Metzenhausen, in Hunsrückkalender Landkreis Simmern 1968, p. 88
40 Arendt C., Bericht…, p. XLIV
41 Loutsch J.-C., op. cit., p. 834
42 Conrad O., op. cit., p. 87
43 Schmitt G., op. cit., p. 115 Staud R.M., op. cit., p. 86 – 89

Détail d’un monument funéraire

Le baptême de Jésus (Dominique Lang, 1900)

Les sculptures et la toile de Dominique Lang

Le patrimoine de l’église de Junglinster comprend de nombreuses sculptures des XVIIe et XVIIIe siècles dont l’origine n’est pas toujours connue.43 Près des fonts baptismaux de 1760 sont placés saint Martin en chevalier avec cuirasse et saint Willibrord. En face près du monument d’Elisabeth d’Autel se trouvent sainte Marie Madeleine et saint Materne. Le roi David avec sa harpe et sainte Cécile portant un orgue se tiennent avec deux anges près du garde corps de la tribune. Un aiglelutrin est placé sur un socle dans le choeur et sert d’ambon. Un deuxième exemplaire est monté sur une stèle polyvalente. Ensemble avec l’autel face au peuple en pierre bleue et les sièges, ils constituent le nouveau mobilier liturgique dessiné par l’architecte Christian Barsotti d’après un projet de l’abbé Francis Erasmy.

La dernière oeuvre d’art remarquable introduite dans le sanctuaire est due au peintre Dominique Lang (1874-1919). La toile de 1900 se situe dans la tradition impressionniste et représente le baptême de Jésus par le Baptiste. Elle occupe une niche côté sud dans la première travée occidentale de la nef. Derrière se trouve, cachée, une peinture murale du XVIIIe siècle montrant deux branches stylisées.